Nous assistons à un lent processus de dislocation mondial, où tous les événements en apparence anodins viennent se combiner pour saper les fondations du système international qui se meurt.
(Paul Jorion a écrit un livre intitulé : "Le capitalisme à l'agonie" publié aux éditions Fayard en 2011).
Si ce processus est lent, si ces événements peuvent paraître anodins, c'est paradoxalement parce que la crise actuelle est la première crise systèmique véritablement mondiale : bien plus profonde que 1929, elle touche tous les pays et boulverse le coeur du système. Là où 1929 était une crise d'adolescence de la nouvelle puissance mondiale, les Etats-Unis , nous vivons actuellement les derniers jours d'un condamné, et ce condamné est la superpuissance qu'on a connu depuis 1945.
Mais toute l'organisation du monde s'est bâtie autour des Etats-Unis et personne n'a intérêt à ce qu'elle s'écroule avant d'en être complètement découplé, il s'agit donc pour tous de s'en dégager en douceur en sauvegardant les apparences usuelles afin d'assurer une transition sans heurt, ce qui explique la lenteur du karch en cours.
C'est un peu comme des parents qui tentent de quitter la chambre de leur bébé à pas de loup pour éviter qu'il se réveille et se remette à brailler : le bébé est le dollar, et les parents sont indignes puisqu'ils sortent pour l'abandonner.
La Chine est passée maître dans cet art mais on voit de toute part d'autres pays qui abandonnent progressivement les Etats-Unis de manière plus ou moins subtile, comme l' Arabie Saoudite par exemple, (chose inconcevable il y a peu..!). Pour l'Union Européenne, quasiment le dernier bastion américaniste hors des US, la tâche est plus ardue.Les élections européennes de 2014 risquent de voir une montée des extrêmes droites et des forces eurosceptiques, ce qui mènera à une explosion du cadre actuel de l'UE avec la possibilité pour l'Euroland de s'affirmer à sa place.
Internationalisation à marche forcée du yuan qui vient décrédibiliser un peu plus le rôle central du dollar US, perte de soutien saoudien qui était une pièce maîtresse dans l' édifice du pétrodollar, et perte du bastion américaniste UE remplacé par l' Euroland qui, s'appuyant sur l'euro, constitue une nouvelle menace pour les Etats-Unis : trois des derniers soutiens essentiels de la puissance américaine disparaitrons en 2014, poursuivant insidieusement le boulversement mondial.
Les Etats-Unis ont fait le pari que la barrière de potentiel entre le statu quo et le "monde d'après" est trop douloureuse à franchir, et que les pays, bien qu'ayant tout à gagner d'une nouvelle organisation du monde, ne passeront pas le Rubicon. C'est par exemple la Chine avec sa montagne de dollars en réserve qui ne vaudront plus grand chose si elle bouge trop ostensiblement, ou encore l'Arabie Saoudite qui perdra un gros client et une sécurité assurée si elle lâche les Etats-Unis.
Sauf qu'il s'agit ni plus ni moins d'un froid calcul de coûts/bénéfices, et pour nombre d'acteurs les bénéfices commencent à dépasser les coûts, de sorte que le pari américain est dores et déjà perdu.
A l'OUEST RIEN DE NOUVEAU
Les marchés peuvent être contents, janet Yellen qui succèdera à Ben Bernanke à la tête de la FED en janvier, a suggéré qu'elle souhaite continuer le programme d'assouplissement quantitatif de son prédécesseur (QE3). Certes elle n'a guère le choix puisque l'illusion d'Etats-Unis encore debout ne tient que grâce à ce programme qui a permis aussi bien de relancer artificiellement le marché immobilier que les marchés financiers, ou de financer le gouvernement américain à bas coût.
Mais il n'y a que les marchés qui célèbrent la nouvelle. Les pays étrangers se demandent quand les bulles exportées par la FED vont cesser, comment cela va pouvoir finir, comment sevrer les Etats-Unis et, s'ils n'ont pas encore suffisamment découplé leur économie, quelles seront les répercussions chez eux.
La société civile sait déjà que les "bénéfices" du QE ne parviennent jamais jusqu'à elle : comme si l'intégralité d'un New Deal par an était absorbé uniquement par les marchés et ne profitait pas à la population. Et l'économie réelle se demande quand les taux d'intérêt vont pouvoir remonter à une valeur normale, afin que des investisseurs soient à nouveau incités à financer de vrais projets grâce à une rémunération non nulle.
Du côté de la FED rien de nouveau donc. Rien de nouveau non plus aux problèmes du pays qui s'amoncellent et s'aggravent. On parle de famine aux Etats-Unis dans les journaux mainstream, les crimes sont en augmentation constante depuis deux ans, la consommation de drogue explose. Le chômage de masse continue, les infrastructures sont sacrifiées, la recherche scientifique n'est plus financée correctement etc...!
L'IMPOSSIBLE REPRISE US
Les problèmes des Etats-Unis ne peuvent pas être résolus dans la cadre actuel car le pays se trouve face à un dilemme : si l'économie commence à reprendre des couleurs, la FED doit arrêter son programme de soutien, mais alors ce sera la panique sur les marchés comme on l'a vu en septembre, ce qui cassera la reprise.
PLus généralement si une once de vraie croissance pointe son nez, la montagne de dollars imprimés par la FED et exportés chez les émergents va revenir en partie aux Etats-Unis pour profiter de l'aubaine, provoquant une forte inflation et tuant la reprise dans l'oeuf. Ces "oscillations" entre espoir et désespoir vont donc continuer tant que la crise est affrontée ave les outils du "monde-d'avant", où jusqu'à ce qu'un choc vienne rappeler la situation catastrophique.
Car ce n'est pas le QE qui va sauver l'économie, puisque ses meilleurs résutats sont de maintenir artificiellement en vie des zombies économqiues et de gonfler des bulles financières.
L'EUROPE EST MORTE, VIVE L'EUROPE !
Résolution des conflits, commerce, finance...on voit donc que le fossé se creuse avec l'Occident. Néanmoins, à l'image de cette nouvelle route de la soie qui relie l' Asie et l' Europe, cette dernière peut encore basculer à temps dans le "monde d'après" si elle parvient à couper le cordon avec les Etats-Unis, après les élections de 2014 qui serviront de détonnateur.
Montée des extrèmes droites, et des partis eurosceptiques, déficit démocratique, poids des lobbies et éloignement des citoyens, centralisation bruxelleoise, bureaucratie et technocratie....l'Union Européenne se meurt. Les élections européennes de 2014 vont provoquer l'explosion du cadre actuel de l'UE et initier une repolitisation de l'Union à commencer par un grand débat sur l'avenir de l' Europe.
Cette remise en question a d'ailleurs déjà commencé, avec par exemple les Verts qui se dotent de candidats communs sur tout le territoire de l'UE, initiant ainsi une "vraie" élection européenne, ou avec les partis socialistes qui poussent le très sérieux candidat Martin Schultz à la tête de la Commission.
Cette Union Européenne qui se meurt, c'est l'Europe inspirée et noyautée par les intérêts américains. C'est l' Europe réduite à un vaste marché commun qui doit sans cesse s'élargir, c'est l'Europe qui se couche devant Monsanto et s'en remet aux Etats membres, laissant ainsi le champ libre à la multinationale américaine. Ce faux-nez des politiques anglo-saxonnes, cette troisième béquille américaine s'effondre. Mais ces décisions dictées par le cousin américain passent de plus en plus difficilement.
Un autre exemple en est donné par l'adhésion de la Turquie à l'UE, choisie par l'agenda américain et non par les citoyens européens ni turcs : déjà laborieuse, celle-ci sera définitivement condamnée lorsque des partis d'extrème droite investiront le Parlement européen en 2014.
L'Euroland a la capacité de construire un projet politique qui viendra combler le vide laissé par l'Union Européenne.
Source : LEAP2020
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